Vue d'artiste d'une planète errante
Impression artistique d'une planète dans la région de Rho Ophiuchi. Crédit : ESO/M. Kornmesser/S. Guisard (www.eso.org/~sguisard)

Les planètes errantes, vagabondes, interstellaires, portent de nombreux noms et sont des objets très particuliers. Elles font au plus 13 fois la masse de Jupiter mais sont orphelines et ne gravitent pas autour d’une étoile. Leur existence est connue depuis le début du 21e siècle et certaines ont été détectées, mais le manque de grands échantillons de planètes errantes nous empêche de mieux comprendre leur origine et leurs propriétés.


La raison pour laquelle elles sont si peu connues est qu’elles sont extrêmement difficiles à détecter. À ce jour, la plupart des planètes errantes trouvées n’ont pas été directement observées mais ont été détectées en utilisant la méthode de lentille gravitationnelle. Cette technique consiste à considérer la planète comme une lentille qui dévie la lumière d’une étoile plus éloignée. Ainsi, pendant un instant, l’étoile lointaine apparaît plus brillante. En fonction de l’augmentation de la lumière et de la durée, on peut connaître approximativement la masse de l’objet lent et déterminer s’il s’agit d’une planète. La principale limitation de cette méthode est que nous ne connaissons pas la position exacte de l’objet, nous ne pouvons donc pas l’étudier plus en détail après la détection de l’évènement.

Une énorme quantité de données, provenant des meilleurs observatoires du monde

Ma thèse propose une toute autre approche : nous avons observé directement des planètes errantes. Ces planètes n’émettent presque pas de lumière propre, seulement une légère lueur infrarouge lorsqu’elles sont très jeunes, et progressivement, à mesure qu’elles se refroidissent, elles s’éteignent indéfiniment devenant invisibles depuis la Terre. C’est pourquoi, dans notre étude, nous nous sommes concentrés sur l’une des régions de formation d’étoiles les plus proches du Soleil : la région du Haut Scorpion et du rho Ophiuchus [Figures 1 et 1bis]. Cette région couvre une superficie de 170 degrés carrés, se trouve à environ 500 années-lumière et s’est formée il y a entre 1 et 10 millions d’années (ce qui est très jeune, le Soleil, par exemple, a 4 500 millions d’années).

les planètes errantes trouvées sont entourées d'un cercle rouge sur une image de la constellation. On en voit un grand nombre.
Figure 1 : Cette image montre la région du Haut Scorpion et de l’Ophiuchus couverte par cette étude. Les cercles rouges indiquent la position des cent planètes découvertes. Crédit : ESO/N. Risinger (skysurvey.org)
Figure 1bis : Schéma de la constellation du Haut Scorpion, avec ses étoiles les plus caractéristiques. La Lune est à l’échelle. Images produites à l’aide du logiciel Stellarium.

Il a fallu les plus grands télescopes sur Terre capables de collecter de grandes quantités de lumière pour détecter ces planètes. Nous avons analysé environ 80 000 images de 18 télescopes différents (1 à 8 m de diamètre) à travers le monde. Parmi eux se distinguent le télescope Subaru de 8,2 m (NOAJ, Hawaii), le télescope Very Large Tesecope (VLT) de 8,2 m (ESO, Chili), le télescope Blanco de 4 m (NOIRLab, Chili), le télescope Mayall de 4 m (NOIRLAb, États-Unis) et le télescope de 3,5 m à l’Observatoire CFHT (Hawaï). Ces images ont été obtenues des archives publiques de ces observatoires et complétées patiemment par nos propres observations avec ces mêmes instruments, pour finalement couvrir environ 20 ans d’observation. Cette thèse m’a donné l’opportunité de participer en personne à certaines de ces observations aux télescopes. La figure 2 montre deux photos de moi prises pendant les nuits d’observation.

Chercher des aiguilles dans une botte de foin

Une fois que nous sommes capables de détecter des objets suffisamment faibles comme les planètes que nous recherchons, il faut relever le défi suivant : les identifier. Ce défi s’apparente à la parabole de la recherche « d’aiguilles dans une botte de foin » dans le sens où il n’y a qu’une centaine de planètes errantes parmi des dizaines de millions d’étoiles et de galaxies ! Pour identifier les planètes, nous avons profité du fait qu’elles font partie d’une région de formation d’étoiles et se déplacent donc ensemble à la même vitesse et dans la même direction dans l’espace interstellaire, alors que les étoiles qui se trouvent devant ou derrière elles et qui n’appartiennent pas à la région possèdent des mouvements différents, et les galaxies, qui sont beaucoup plus éloignées, ont des mouvements pratiquement imperceptibles depuis la Terre. Dans cet article, nous nous référons au mouvement comme le mouvement apparent des objets sur la sphère céleste. Pour mesurer les mouvements des étoiles, nous avons combiné des images obtenues au cours des 20 dernières années ce qui nous a permis de voir comment les objets ont changé de position au fil du temps.

En combinant des informations sur le mouvement, la luminosité et la couleur de chaque objet dans nos images, nous avons pu identifier environ 3 500 jeunes objets se déplaçant ensemble dans l’espace, dont entre 70 et 170 seraient des planètes errantes avec des masses entre 4 et 13 fois la masse de Jupiter. La figure 3 correspond à une image de la région étudiée et l’objet central, un minuscule point rouge, correspond à l’une des planètes que nous avons trouvées.

Figure 3 : Cette image montre une petite zone du ciel en direction du Scorpion supérieur et d’Ophiucus. Il se concentre sur la position de l’une des planètes nouvellement découvertes, qui est le petit objet rouge central. Crédit : ESO/Miret-Roig et al.

Les jeunes planètes changent de luminosité très rapidement (s’éteignent) pendant qu’elles refroidissent et pour cette raison il est difficile de distinguer les objets très jeunes et très légers (en masse planétaire) ou moins jeunes mais un peu plus massifs (naines brunes). C’est de cette possible confusion que vient l’incertitude sur le nombre total de planètes trouvées dans notre étude.

Si l’on fait l’hypothèse (raisonnable, quoiqu’à démontrer) que la fraction de planètes que nous avons trouvées dans cette association est similaire dans d’autres parties de notre galaxie, cela indiquerait qu’il pourrait y avoir quelques milliard de planètes errantes dans la Voie lactée. Ce résultat fait référence aux planètes géantes, plus grosses que Jupiter, qui sont celles que nous avons pu détecter dans notre étude. Les planètes plus petites, du type de Neptune ou même de la Terre ont des luminosités beaucoup plus faibles et impossibles à détecter dans la région du Haut Scorpion et d’Ophiuchus car cette région est trop lointaine (en dépit d’être l’une des plus proches). Cependant, elles sont plus courantes et se font éjecter beaucoup plus facilement des systèmes planétaires que les planètes plus grandes, c’est pourquoi il y en aura probablement encore plus à découvrir.

Comment les planètes se sont-elles formées ?

Cette étude est le premier grand échantillon de planètes errantes ayant la même origine : elles se sont formées dans la même région de formation. Cet échantillon est parfait pour étudier l’origine de ces objets exotiques. Il existe actuellement plusieurs mécanismes proposés pour expliquer la formation des planètes errantes. Certaines théories suggèrent que les planètes errantes se sont formées comme de petites étoiles (dues à la contraction des nuages ​​de gaz et de poussière) et sont donc errantes depuis le début. D’autres suggèrent que les planètes se sont formées dans des systèmes planétaires, autour d’une étoile, et ont ensuite été éjectées en raison d’interactions gravitationnelles avec d’autres planètes du système, avec l’étoile principale ou des étoiles compagnons (systèmes binaires), ou ont été arrachées par une étoile qui serait passé très près. Ces théories et d’autres sont connues pour produire des planètes errantes, mais on ne sait pas lesquelles dominent la formation de ces objets et quelle contribution chacun de ces mécanismes apporte à la population globale de planètes errantes. En comparant la fraction de planètes errantes que nous avons trouvées avec les prédictions de différents modèles de formation d’étoiles et de planètes, nous avons constaté que les deux mécanismes sont nécessaires pour expliquer la grande population de planètes que nous avons trouvée. En d’autres termes, une fraction importante des planètes errantes que nous avons découvertes a dû se former directement, de manière isolée comme une étoile, tandis que d’autres se sont formées dans un système planétaire et l’ont ensuite abandonné.

Les planètes nous aident à comprendre la formation des étoiles et des systèmes planétaires

Il est clair que l’identification et la caractérisation des planètes est un sujet passionnant en soi. Mais les planètes errantes nous aident également à comprendre la formation stellaire et planétaire dans son ensemble. Puisqu’elles sont très légères (beaucoup plus que les étoiles), elles sont très sensibles aux conditions initiales du processus de formation. Les planètes sont notamment très sensibles aux interactions gravitationnelles avec d’autres objets plus massifs ou avec le gaz lui-même à partir duquel se forment les étoiles. Des études comme celle-ci, dans d’autres environnements où les conditions sont très différentes, seront cruciales pour mieux comprendre les différents processus physiques qui se déroulent lors de la formation des étoiles et des planètes.

Remerciements

Cette recherche a été présentée dans l’article « A rich population of free-floating planets in the Upper Scorpius young stellar association » paru dans Nature Astronomy1​. Il fait partie du projet COSMIC-DANCE porté par Hervé Bouy et le principal résultat de Núria Miret-Roig pour son doctorat.

Cette recherche a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (ERC) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention n° 682903, PI H. Bouy), et de l’État français dans le cadre du programme « Investissements d’avenir ». IdEx Bordeaux, référence ANR-10-IDEX-03-02. Cela a été possible grâce à l’utilisation intensive des données de l’ESO, du NOAJ, du NOIRLab, de l’ING, du CFHT, de VISIONS et de la mission Gaia de l’ESA.

L’équipe est composée de Núria Miret-Roig (Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux, Univ. Bordeaux, CNRS, France [LAB] ; Univ. De Vienne, Département d’Astrophysique, Autriche), Hervé Bouy (LAB), Sean N. Raymond (LAB), Motohide Tamura (Department of Astronomy, Graduate School of Science, The University of Tokyo, Japan ; Astrobiology Center, National Institutes of Natural Sciences, Tokyo, Japan [ABC-NINS]), Emmanuel Bertin (CNRS, UMR 7095, Institut d’Astrophysique de Paris, France [IAP], Sorbonne Université, IAP, France), David Barrado (Centre d’Astrobiologie [CSIC-INTA], Dépt. d’Astrophysique, Campus ESAC, Espagne), Javier Olivares (LAB), Phillip Galli (LAB), Jean-Charles Cuillandre (AIM, CEA, CNRS, Université Paris-Saclay, Université de Paris, France), Luis Manuel Sarro (Dépt. Intelligence Artificielle, UNED, Espagne), Angel Berihuete (Dépt. Statistiques et Opérations Recherche, Université de Cadix, Espagne) & Nuria Huélamo (CSIC-INTA).

Pour lire un peu plus à ce sujet

Video, poème et chanson dédiés à l’article:

https://planetplanet.net/2021/12/22/free-floating-planets-poem/

Article en anglais :

https://www.nature.com/articles/s41550-021-01513-x

Communications dans les médias et de mes partenaires de recherche :

ESO : https://www.eso.org/public/news/eso2120/

NOIRLab :https://noirlab.edu/public/news/noirlab2131/

ING :https://www.ing.iac.es/PR/press/rogue.html

CFHT : https://www.cfht.hawaii.edu/en/news/RoguePlanets/

NOAJ : https://www.nao.ac.jp/en/news/science/2021/20211223-subaru.html

Subaru : https://subarutelescope.org/en/results/2021/12/22/3014.html

  1. 1.
    Miret-Roig N, Bouy H, Raymond SN, et al. A rich population of free-floating planets in the Upper Scorpius young stellar association. Nat Astron. Published online December 22, 2021:89-97. doi:10.1038/s41550-021-01513-x
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Je travaille actuellement en tant que chercheur à l'Université de Vienne où j'étudie la formation des étoiles et des planètes. Mon travail consiste à obtenir et à analyser de nouvelles images de jeunes étoiles et planètes qui nous permettent de contraster les schémas de formation actuels.

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