Photographe : Daniel Weiss

Parmi les grands mystères de la cosmologie actuelle, il y a ce qu’on appelle les problèmes de « l’énergie noire » et de la « matière noire ». Ce sont des constituants de l’Univers d’une nature différente de ce que nous connaissons sur Terre. À l’inverse, le champ magnétique est une chose que nous connaissons bien : intuitivement, avec nos aimants de frigo par exemple, mais aussi techniquement, car les physiciens étudient le magnétisme depuis longtemps. Et bien raison de plus pour être perplexe : alors que nous comprenons très bien la physique des champs magnétiques, lorsque l’on étudie les champs que l’on observe dans le ciel, on n’arrive pas à comprendre comment ils sont arrivés là… !

Les champs magnétiques sont omniprésents dans notre Univers. Il y en a à toutes les échelles : à l’intérieur des planètes et des étoiles, dans le milieu interstellaire, et même dans le milieu intergalactique, c’est-à-dire aux plus grandes échelles observables. De plus, nous savons que ces structures sont magnétisées depuis des milliards d’années. Autant on s’explique très bien comment un champ magnétique se forme au sein des étoiles et des planètes, autant dans les plus grandes structures on ne comprend pas comment ils auraient pu y être générés ou comment ils auraient pu y avoir été transportés. Après plus d’un demi-siècle de recherches, de nombreuses idées ont été proposées, mais aucune n’est entièrement satisfaisante. Dans l’article [1], nous explorons l’idée selon laquelle ils pourraient être une relique d’une époque très ancienne, et particulièrement intéressante : ils seraient une empreinte de la naissance des galaxies, il y a 13 milliards d’années… !

Un défi, et comment le relever

Photographe : Jorik Blom.

Pour illustrer la difficulté de déceler l’origine des champs magnétiques cosmiques, considérons une tasse de thé. Lorsque vous y versez lentement du lait, un beau nuage blanc se forme, mais à peine commencez-vous à mélanger que celui-ci disparaît. À l’inverse, maintenant, regardez un thé avec du lait déjà mélangé : pouvez-vous dire, à la seule vue de cet état final, quelle était la forme initiale du nuage de lait ? En fait… c’est impossible. Les mouvements du fluide sont bien trop complexes pour que nous puissions les « démêler » et revenir en arrière pour déduire la forme de départ. Et bien de la même façon, lorsqu’une galaxie se forme, elle contient initialement un champ magnétique dont l’allure pourrait nous renseigner sur la façon dont il a été généré. Mais, comme le nuage de lait dans la tasse de thé, cette forme se brouille très rapidement à mesure que la galaxie poursuit son évolution. On pourrait donc croire qu’il est impossible de comprendre l’origine du champ magnétique : les galaxies ont trop évolué pour que nous puissions conclure quoi que ce soit sur leur champ magnétique initial, et donc sur les phénomènes qui en sont la source.

Heureusement, il nous reste tout de même une chance. Par définition, les galaxies sont les zones de l’Univers où les étoiles se sont formées, et sont donc les endroits les plus turbulents. A l’inverse, le milieu entre les galaxies, que l’on appelle le milieu intergalactique, a moins évolué. Aucune étoile ne s’y est formée, et il est resté relativement calme au cours de toute l’histoire de l’Univers. Le milieu intergalactique que nous observons aujourd’hui est donc presque « intact », comme un fossile, témoin d’époques très anciennes. C’est une relique et il constitue donc notre fenêtre sur l’Univers jeune.

Mais attendez… pourtant le milieu intergalactique est vide, n’est-ce pas ? Et bien non, il n’est pas vide. Cette vue simpliste très répandue provient de l’idée, elle correcte, que c’est un milieu extrêmement peu dense. Par exemple, combien y a-t-il de molécules dans la pièce où vous vous trouvez actuellement ? Environ un milliard de milliards de milliards a. Par contre si cette pièce contenait du milieu intergalactique plutôt que de l’air, il y aurait environ… un seul atome d’Hydrogène dedans ! Le milieu intergalactique actuel est donc à peu près un milliard de milliards de milliards de fois moins dense que l’air que vous respirez en lisant ces lignes.
J’en entends alors certains marmonner : « Donc concrètement… il est vide ! ». Mais non ! Même « concrètement », cela a son importance, parce que par ailleurs il est immensément vaste. Or, observer le ciel c’est récolter de la lumière qui a parcouru de très très longues distances dans ce milieu, jusqu’à plusieurs milliards d’années-lumière. Et donc bien que la probabilité d’interaction avec un milieu si peu dense soit très faible, au cours d’un tel voyage la lumière est modifiée avant que nous ne la recevions. En ce sens, le milieu intergalactique est comme une vitre à travers laquelle nous observons les objets astrophysiques. C’est pourquoi nous devons en avoir une compréhension précise, en plus de le trouver intéressant à étudier en soi.

Facile donc : Pour voir les champs magnétiques à leur état initial, il suffit de regarder entre les galaxies. Certes, mais il y a deux grosses difficultés.

Premièrement, c’est un défi technologique de taille. Il s’agit d’observer les zones les moins denses de l’Univers, qui émettent donc extrêmement peu de lumière, et les champs magnétiques à mesurer sont de l’ordre de \(10^{−20}\) Tesla. Mais est-ce vraiment si faible… ? En fait, ce sont les champs les plus faibles que l’on connaisse ! C’est environ un milliard de milliards de fois plus faible qu’un aimant de frigo. Le champ magnétique sur Terre lui est dix millions de milliards de fois plus fort que le champ intergalactique (il est de l’ordre de \(10^{-4}\) Tesla) et pourtant il est déjà si faible qu’on en perçoit difficilement les effets b.
Mais ce qui importe c’est que nous allons bientôt pouvoir le détecter avec précision ! En fait, c’est le schéma classique en sciences : des idées qui paraissent infaisables aujourd’hui finissent par être réalisées à force de persévérance. Les exemples abondent, et pas uniquement en cosmologie. Mais pour ceux qui connaissent, pensez à l’aventure scientifique incroyable qu’a été l’étude du fond diffus cosmologique (CMB) ou des ondes gravitationnelles. Désormais le CMB est le pilier de la cosmologie actuelle et les ondes gravitationnelles parmi les pistes les plus prometteuses, alors que cela était inimaginable il n’y a pas si longtemps.

Deuxièmement, le milieu intergalactique est très complexe. En effet, pour comprendre son évolution, il faut comprendre l’évolution de l’Univers dans son ensemble. Pensez à nos océans : depuis que la Terre s’est formée, les échanges entre les terres et les océans n’ont jamais cessé. Beaucoup de ce qui se trouve actuellement sur les parties émergées était jadis sous l’eau et inversement, surtout lorsque l’on considère les échelles de temps géologiques. Et bien le milieu intergalactique c’est l’océan de notre Univers, et les galaxies ses îles. En effet cela fait des milliards d’années que la matière va et vient entre les galaxies et le milieu intergalactique. Et comme mentionné précédemment, le milieu intergalactique n’ayant pas drastiquement évolué, il renferme désormais les traces de nombreuses époques différentes. Regardez un endroit du milieu intergalactique actuel, vous y trouverez un ensemble de particules, de rayonnements et de champs magnétiques provenant de phénomènes ayant eu lieu avec plusieurs milliards d’années de décalage… ! C’est aussi sa richesse qui rend son analyse difficile. L’exercice (et au final l’exploit) est vraiment similaire à celui des archéologues qui, en étudiant un petit rocher, sont capables de vous raconter l’histoire de toute une région. En ce sens, la cosmologie est de l’archéologie extra-terrestre !

Magnétisation du milieu intergalactique par les premières galaxies apparues dans l’Univers

Au début c, il y a un peu plus de 13 milliards d’années, à quoi ressemblait l’Univers ? C’était un vaste gaz d’Hydrogène. Et c’est tout. Je veux dire par là qu’à cette époque, il n’y avait pas encore d’étoiles d! Comme il n’y avait pas encore de sources lumineuses, cette période est appelée les « Ages Sombres ». Ça n’est qu’au bout d’environ 100 millions d’années que les premières étoiles et galaxies se sont formées. Les premiers rayons lumineux sont alors apparus dans cet environnement sombre et froid, c’est pourquoi cette transition est appelée (de façon poétique, mais c’est vraiment le terme technique utilisé !) « l’Aube Cosmique ». Comme vous vous en doutez, l’apparition des galaxies a eu de très nombreuses conséquences. Dont l’une est la suivante.

Figure 1 : Schéma de l’Univers il y a environ 13 milliards d’années. Les galaxies viennent tout juste de se former. L’interaction entre leur rayonnement et le milieu intergalactique (c’est à dire la photoionisation) génère du champ magnétique, représenté par les zones bleues dans le schéma. Dans cet article, nous calculons la valeur moyenne de ce champ généré dans tout l’Univers au cours de son premier milliard d’années d’évolution. Voir les annexes 1 et 2 pour plus de détails.

La figure 1 illustre la situation. L’Univers est un vaste gaz d’Hydrogène (c’est le milieu intergalactique, représenté par le fond gris) dans lequel des galaxies se forment (représentées par les trois étoiles orange). Je vous rappelle qu’un atome d’Hydrogène c’est une charge négative (l’électron) liée à une charge positive (le proton). De plus, les premières galaxies formées ont émis de la lumière, et lorsqu’un rayon lumineux a percuté un atome d’Hydrogène, il a séparé l’électron du proton. Or lorsque deux particules chargées sont éloignées l’une de l’autre, un champ électrique apparaît. Et lorsqu’un champ électrique apparaît, sous certaines conditions bien précises, un champ magnétique apparaît également. Il se trouve que si le milieu intergalactique était parfaitement homogène, alors ces conditions n’auraient pas été remplies, donc pas de champ magnétique. Mais en réalité il était très inhomogène, c’est-à-dire qu’il contenait de nombreux « nuages » (les taches gris foncé sur la figure 1), comme dans l’atmosphère terrestre. Et c’est précisément autour de ces nuages que les conditions pour que du champ magnétique puisse apparaître sont bien remplies. Ce sont les zones bleues dans la figure 1. La lumière émise par les premières galaxies a donc généré du champ magnétique dans le milieu intergalactique !

Dans l’article [1] dont il est question ici, nous avons calculé la valeur moyenne du champ magnétique généré de cette façon dans l’ensemble du milieu intergalactique. Pour cela nous avons dû prendre en compte beaucoup de phénomènes complexes (voir l’annexe 2 pour plus de détails). Tout l’art consiste alors à trouver des approximations efficaces et pertinentes. Le résultat principal de cet article est une formule permettant d’estimer ce champ à une époque donnée. Nous prédisons ainsi qu’un champ magnétique moyen de l’ordre de \(10^{−22}\) Tesla a été généré par les premières galaxies qui se sont formées dans l’Univers.

Mais c’est 100 fois moins que les \(10^{−20}\) Tesla annoncés à la section précédente ! Oui mais attention, là nous avons calculé quel a été le champ généré à l’époque. L’étape suivante dans notre étude sera donc de calculer comment ces champs évoluent. Mais ça c’est une autre histoire ! C’est aussi très compliqué, et d’autres équipes de chercheurs dans le monde travaillent spécifiquement sur ce sujet. Les travaux sont encore en cours, mais a priori les valeurs que nous obtenons ici sont bien pertinentes pour expliquer les observations. D’ailleurs, comme je vous avais dit en introduction, de nombreux autres mécanismes ont été proposés, et ils obtiennent des valeurs comparables aux nôtres. Les observations futures permettront de savoir lequel parmi ces mécanismes possibles a réellement dominé.

Conclusion

Naturellement, en regardant le ciel nous regardons les points lumineux. Mais la prochaine fois que vous lèverez les yeux au ciel, n’oubliez pas de vous émerveiller aussi devant tout ce que vous ne voyez pas ! Il y a toutes ces choses littéralement invisibles (matière noire, énergie noire) mais il y a également cette faible lumière du milieu intergalactique, si faible que nous croyons qu’il n’y a « rien », alors que si l’on décortique proprement le discret rayon lumineux qui a atteint notre œil, on se rend compte qu’il renferme toute l’histoire de l’Univers.

Enfin, comme vous le voyez ici, « même » des choses a priori aussi « connues » que les champs magnétiques échappent en fait encore aux chercheurs actuels. Et ce constat est très général. A l’école on cherche avant tout à nous apprendre à utiliser des outils et à maîtriser des méthodes. On nous présente donc des choses qui marchent, et on discute des questions auxquelles nous avons des réponses. C’est très bien et nécessaire, mais à force de ne regarder que ce qui fonctionne et est abouti, on a l’impression que « tout est fait » et qu’il n’y aurait plus rien à découvrir. Mais ça n’est pas le cas du tout ! La période actuelle, et au moins les 50 ans à venir, sont idéaux pour faire de la physique : nous comprenons suffisamment les choses pour pouvoir avancer efficacement et ne pas être complètement bloqués, mais en même temps, dans tous les domaines, il y a encore énormément de choses à explorer et les mystères ne manquent pas. La physique est un édifice en pleine construction. D’une part parce que l’Univers est fantastiquement vaste, d’autre part nous pouvons observer de plus en plus de choses car les technologies progressent à grands pas, et il y a donc encore plus de phénomènes à étudier qu’auparavant, et enfin, la physique en soi est si subtile et complexe, que de toute façon même les « petits phénomènes » regorgent déjà de surprises et de beauté. Le buffet est immense. A table !

Annexes

Annexe 1 : Le modèle Standard de la Cosmologie

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En observant un oiseau voler, il semble que rien ne le soutient, comme si la gravité agissait différemment sur lui que sur nous. Mais nous savons bien qu’en fait, nous ne voyons pas l’ensemble de la scène : il y a plutôt que l’oiseau « nage » en quelque sorte dans un milieu qui nous est invisible, l’air. Observons le ciel maintenant. Nous voyons des étoiles et des galaxies. La première surprise est que tous ces objets célestes sont en mouvement, contrairement aux apparences. Mais bien plus surprenant encore, lorsque l’on étudie leurs mouvements en détail, on se rend compte qu’il ne peut pas y avoir uniquement ce que l’on voit. On se rend compte que, comme avec l’oiseau, à moins que les forces qui s’appliquent sur les objets dans le ciel ne soient radicalement différentes de celles auxquelles nous sommes habitués sur Terre e , il doit y avoir des choses invisibles, et en très grande quantité…

Plus précisément, les cosmologistes ont bâti ce que l’on appelle le « Modèle Standard de la Cosmologie ». Il s’agit d’une théorie qui explique (presque) f tout ce qui a actuellement été observé. D’après ce modèle, l’Univers contient quatre choses (notez que la plupart échappe à nos yeux) :

  1. La matière baryonique ou « baryons », qui est le terme technique donné à la matière « ordinaire », celle dont nous sommes constitués, et qui compose également les planètes, les étoiles et les galaxies,
  2. La matière noire, totalement invisible et dont la nature reste inconnue. Il y en a cinq fois plus que des baryons !
  3. Des rayonnements, dont seule une petite fraction est visible pour les humains,
  4. L’énergie noire, totalement invisible et dont la nature reste inconnue. Dans le cadre de cet article nous n’en discutons pas, car au cours de l’Epoque de la Réionisation (qui est la période d’intérêt ici, cf ci-dessous) celle-ci ne joue pas de rôle important.
Figure 2 : L’histoire des baryons dans l’Univers. La forme triangulaire schématise le fait que l’Univers est en expansion. Au cours de l’Epoque de la Réionisation, du champ magnétique est généré dans la partie neutre (région grise) du milieu intergalactique (voir annexe 2 et figure 1).

Un autre élément fondamental est que l’Univers est en expansion. Enfin, voici un petit aperçu de la chronologie. Comme illustré dans la figure 2, nous pouvons décomposer schématiquement l’évolution des baryons aux échelles cosmologiques en six étapes :

  1. Environ 400 000 ans après le Big Bang, la matière (noire et baryonique) était répartie de façon très homogène dans l’Univers, et la matière baryonique était alors sous sa forme neutre la plus simple, l’Hydrogène. Il n’y avait donc pas encore d’étoiles, c’est pourquoi on appelle cette période les Ages Sombres,
  2. Puis, sous l’effet de la gravité, la matière s’est lentement structurée, et des zones très denses se sont formées. Dans les zones les plus denses, des réactions de fusion nucléaire ont pu s’enclencher, donnant naissance aux premières galaxies. Les premières sources lumineuses apparaissant alors, cette période est appelée l’Aube Cosmique. L’Univers avait alors une centaine de millions d’années, c’est-à-dire un peu moins de dix pourcents de son âge actuel,
  3. Ces galaxies étaient alors comme des petits points lumineux dans un vaste milieu d’Hydrogène neutre (c’est-à-dire que les électrons et les protons sont liés entre eux). Mais leur rayonnement ionise leur environnement, c’est-à-dire sépare les électrons des protons. Autour de chaque galaxie se forme donc une « bulle » de matière ionisée appelée Sphère de Strömgren. Cette différence entre état neutre ou ionisé de la matière est très importante pour deux raisons :
    – cela nous permet d’observer ces zones
    – du point de vue théorique l’état d’ionisation change beaucoup l’évolution de la matière,
  4. Au fur et à mesure que le temps passe, de plus en plus de galaxies se forment, et en environ 900 millions d’années l’ensemble des Sphères de Strömgren formées remplissent l’Univers : le milieu intergalactique est alors totalement ionisé. Cette transition, d’un milieu intergalactique totalement neutre à un milieu totalement ionisé, est appelée Époque de la Réionisation. Le mécanisme étudié dans cet article fonctionne précisément au cours de cette époque,
  5. L’Univers a alors environ 1 milliard d’années. Au cours des 13 milliards d’années d’évolution suivants, aboutissant à la période actuelle, beaucoup de choses se sont passées, mais dans le cadre de l’article discuté ici, nous noterons surtout que
    – le milieu intergalactique reste totalement ionisé, ce qui est essentiel car le mécanisme détaillé ici ne fonctionne que dans les zones neutres,
    – l’ensemble de l’Univers étant en expansion, la matière et les champs magnétiques sont dilués, ce qui fait que l’amplitude actuelle de champs magnétiques générés il y a 13 milliards d’années est beaucoup plus faible qu’elle ne l’était au moment de sa génération,
  6. Aujourd’hui la matière est répartie de façon très inhomogène, sous forme filamentaire. On parle de Toile Cosmique.

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Annexe 2 : Plus de précisions sur ce mécanisme de génération de champs magnétiques

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Lors de travaux antérieurs, nous avions établi une formule permettant de calculer le champ magnétique autour de galaxies isolées et à une époque donnée. Dans la continuation de ce que nous avions fait, nous avons alors dans le présent article [1], calculé le champ moyen généré dans l’ensemble du milieu intergalactique généré par l’ensemble des galaxies présentes (les zones bleues dans la figure 1), en intégrant ces contributions au cours du temps, c’est-à-dire tout au long de l’Époque de la Réionisation (cf. Annexe 1 et figure 2). Les éléments que nous avons pris en compte sont :

  • Les galaxies n’étant pas isolées, il y a de moins en moins de milieu intergalactique neutre (dans lequel le champ peut être généré) au fur et à mesure que le temps passe,
  • il faut estimer à quel taux les galaxies se forment au cours du temps,
  • quel est leur nombre par unité de volume,
  • prendre en compte le fait que l’expansion de l’Univers dilue le champ.

Parmi ces éléments, la principale difficulté est d’estimer le nombre de galaxies qui étaient présentes à un instant donné. En fait, la formation des galaxies est l’un des principaux problèmes de la cosmologie et de l’astrophysique modernes. Prédire exactement sous quelles conditions une galaxie se forme, mais aussi quelle est la quantité de photons (et quelle est leur énergie) qui s’échappe de la zone où la galaxie s’est formée, est impossible à l’heure actuelle, car il y a un nombre immense d’éléments à prendre en compte. Cependant, deux idées nous permettent de conclure ici.

Premièrement, comme nous cherchons à calculer le champ moyenné sur l’ensemble de l’Univers, nous n’avons finalement pas besoin de tant de détails que cela. Par exemple, nous appelons \(f _*\) la fraction moyenne de gaz qui se transforme en étoile dans une galaxie, \(f_{esc} \) la fraction de photons s’en échappant, \(g_{gl} \) le taux de galaxies se formant à une époque donnée, et ainsi de suite. Puis nous estimons la valeur de ces paramètres de sorte que le modèle total soit cohérent, c’est-à-dire qu’il prédise des valeurs pertinentes sur des observables connues très précisément, comme le taux d’ionisation global de l’Univers. En effet, pour des raisons que je ne détaillerai pas ici, le moment auquel se termine l’Époque de la Réionisation (la barre verticale du point 4 dans la figure 2) est mesuré avec beaucoup de précision. Il faut donc au moins que notre modèle prédise la fin de l’Époque de la Réionisation au moment réellement observé. Il faut donc que dans notre modèle nous ne formions ni trop ni pas assez de galaxies, ni trop vite ni trop lentement, qu’elles ne soient ni trop lumineuses ni pas assez, etc, pour ioniser l’Univers ni trop vite ni trop lentement. C’est avec ce type de raisonnement que nous obtenons des valeurs numériques pertinentes pour les paramètres comme \(f_*\) , \(f_{esc} \) et \(g_{gl} \).

La deuxième raison peut paraître plus étonnante. Paradoxalement, bien que nous ne connaissions pas la nature de la matière noire et que cela constitue l’un des grands mystères de la cosmologie actuelle, le recoupement de nombreux éléments (arguments théoriques et observationnels) nous permet de prédire sa répartition statistique dans l’Univers. L’idée est que la matière noire étant cinq fois plus abondante que la matière baryonique, c’est principalement elle qui dicte la dynamique de l’Univers et c’est donc elle que nous pouvons contraindre du fait de ses conséquences gC’est pourquoi dans cet article, comme dans la plupart des travaux de recherche à ce sujet, nous calculons les propriétés statistiques des galaxies à partir des propriétés statistiques de la matière noire qui elles sont « bien » connues.

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Références

[1] J-B. Durrive, H. Tashiro, M. Langer, N. Sugiyama, 2017, MNRAS, 472, 1649. [source]

Notes   [ + ]

a. Notez qu’il n’y a donc pas que le fin fond de l’Univers qui est impressionnant, et que, si l’on regarde bien, notre quotidien direct est constitué de nombres astronomiquement grands… !
b.  On ne s’en rend en effet même pas compte, mais nous baignons en permanence dans un immense champ magnétique, dû aux mouvements incessants des fluides à l’intérieur de notre planète, juste sous nos pieds.
c. Voir l’annexe 1 pour plus de détails sur la chronologie. Attention, ici nous parlons du « début de l’Univers » mais bien après le fameux « Big Bang ».
d. et donc pas de galaxies, puisque ce sont par définition des groupes d’étoiles
e. Je renvoie ici les lecteurs curieux des alternatives au « Modèle Standard de la Cosmologie », à ce que l’on appelle les « théories de gravité modifiée », dont l’objectif est de rendre compte des observations sans introduire de matière noire ou d’énergie noire. Mais nous n’avons pas une telle théorie à l’heure actuelle.
f. Ce modèle présente tout de même certains « défauts ». La cosmologie est loin d’être aboutie ! Mais ce modèle Standard est un outil formidable, qui permet de prédire très précisément de nombreuses choses. Par exemple dans cet article nous utilisons justement ce modèle pour faire des prédictions sur le champ magnétique.
g. Les arguments sont souvent du type « Il ne peut pas y avoir de la matière noire en telle quantité à telle époque, sinon le gaz (les baryons) du milieu intergalactique s’effondrerait gravitationnellement au sein des halos de matière noire, et donc tant et tant de galaxies se formeraient, or nous n’en observons pas autant aujourd’hui ». Notez que si vous supposez l’absence totale de matière noire, alors toutes les observations sont incohérentes… !.
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Après des études au Magistère d'Orsay (M2 NPAC), Jean-Baptiste a fait sa thèse à l'Institut d'Astrophysique Spatiale (Université Paris-Sud) avec pour thématique de recherche la formation des grandes structures cosmologiques. Il est actuellement au Japon, en tant que post-doctorant à l'Université de Nagoya, où ses travaux portent également sur l'Energie Noire.

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