Représentation d'artiste de la planète Proxima b orbitant autour de Proxima Centauri, l'étoile la plus proche du système solaire. ESO/M. Kornmesser

Chaque génération de chercheurs a le droit à son lot de découvertes. Dans le domaine de l’astrophysique par exemple, les plus anciens ont eu le privilège de découvrir en 1995 la première planète extrasolaire, 51 Pegasi b, une planète géante chaude et gazeuse. Depuis, grâce à deux missions spatiales extrêmement prolifiques, Corot et surtout Kepler, le nombre d’exoplanètes connues a considérablement augmenté, et la diversité des mondes extrasolaires a été révélée.

20 ans plus tard, le 24 Août 2016, Guillem Anglada-Escudé, à la tête d’une équipe de chercheurs en grande majorité européenne, annonce la découverte d’une planète orbitant autour de l’étoile la plus proche du Soleil. Elle porte le doux nom de « Proxima b » et marque vraisemblablement le début d’une nouvelle ère dans l’exploration et la caractérisation des mondes extrasolaires.

Proxima b est au premier abord une planète très séduisante. D’abord, elle est très probablement rocheuse, avec une masse environ égale à 1.4 fois celle de la Terre. Ensuite, elle reçoit un flux lumineux similaire à la Terre. Enfin, et c’est définitivement le point le plus important, Proxima b orbite autour de l’étoile la plus proche du Soleil. Vous allez voir que ce point est crucial pour la caractérisation future de cette planète …

En tant que spécialiste des atmosphères planétaires, j’ai eu la chance d’être impliqué sur cette découverte  [1,2]. Nous développons dans mon laboratoire, le Laboratoire de Météorologie Dynamique, des modèles de climat à 3 dimensions, aussi appelés GCM. Initialement développés pour comprendre le climat terrestre, nous les utilisons désormais pour interpréter et prédire toute la diversité des atmosphères des planètes du Système Solaire et même au-delà. Pour vous faire une idée, le programme informatique de notre GCM ne compte pas moins de 65000 lignes de code, et plus de 40 ans d’expertise accumulée !

Quel environnement pour Proxima b ?

Les planètes qui orbitent autour d’étoiles froides comme Proxima Centauri – l’étoile la plus proche du Soleil – sont soumises au cours de leur vie à un environnement très hostile. Quand une étoile se forme, elle entre dans une première phase de Pre Main Sequence (PMS) pendant laquelle elle se contracte. En se contractant, son rayon va diminuer, entrainant en même temps une baisse de sa luminosité d’autant plus forte et d’autant plus longue que l’étoile est froide. Nous avons montré, dans le cas de l’étoile Proxima Centauri, que sa luminosité pouvait baisser d’un facteur 100 en l’espace d’un milliard d’années. Comme Proxima b a dû se former quelques millions d’années après la formation de son étoile hôte, elle a pu recevoir l’équivalent de plusieurs dizaines de fois le flux solaire reçu aujourd’hui sur Terre. On pense notamment que, pendant ses 100-200 premier millions d’années de vie, la totalité de l’eau de la planète a pu se retrouver, de fait, totalement vaporisée.

Proxima Centauri étant également une étoile très active, elle émet un rayonnement X et ultraviolet (UV) extrêmement élevé. Nous avons en fait mesuré que Proxima b reçoit aujourd’hui près de 15 fois plus de rayons X et 250 fois plus de rayons UV que la Terre ! Or, ce sont ces mêmes rayonnement énergétiques qui, en frappant la haute atmosphère, peuvent entraîner l’échappement des molécules les plus légères, par exemple l’hydrogène contenu dans l’eau.

Ces deux conditions mises bout à bout nous indiquent que Proxima b a pu perdre, au cours de sa vie – environ 4.8 milliards d’années – l’équivalent de plusieurs fois le contenu en hydrogène des océans terrestres.

Mais la quantité totale d’eau aujourd’hui disponible à la surface de Proxima b dépend de la quantité initiale présente au moment de sa formation. Si Proxima b s’est formée proche de son étoile, par exemple à sa position actuelle, il est vraisemblable que la planète soit aujourd’hui totalement dépourvue en eau. Il est en fait même envisageable que la planète ait pu perdre la totalité de son atmosphère (N2, O2, …) à l’occasion. En revanche, si Proxima b s’est formée au-delà de la ligne des glaces, alors il est fort à parier que Proxima b soit aujourd’hui une planète extrêmement riche en eau, tout comme le sont les satellites des planètes géantes de notre Système solaire Europe, Ganymède, Encelade …

Il y a une dernière particularité qui différencie l’évolution de la Terre et de Proxima b : son mode de rotation. Proxima b est très proche de son étoile (5 % de la distance Terre-Soleil) et subit donc de plein fouet les forces de marées gravitationnelles exercées par son étoile hôte. Ces forces de marée ont naturellement tendance à ralentir la période de rotation des planètes, si bien qu’aujourd’hui, Proxima b est avec une grande probabilité en rotation lente voire même en rotation synchrone, comme la Lune autour de la Terre. En d’autres mots, Proxima b pourrait avoir une face en permanence éclairée par son étoile et une autre plongée dans l’obscurité éternelle …

Quel climat pour Proxima b ?

Partant du constat que Proxima b a pu suivre un grand nombre de scénario de formation et d’évolution possibles, nous avons cherché à explorer, grâce à des simulations numériques de climat à 3 dimensions, vers quels types d’atmosphères et de climats la planète Proxima b aurait pu aujourd’hui converger. Nos résultats sont résumés sur la Figure 1, pour deux modes de rotation (lente/asynchrone ou synchrone). Ils indiquent que, selon la composition atmosphérique et la quantité d’eau disponible sur la planète, une grande variété de climats peuvent être envisagés. Dans certains cas, la planète est complètement sèche, recouverte d’immenses glaciers. Dans d’autres, la planète peut être si froide que l’atmosphère elle-même peut condenser et s’effondrer.

Climats possibles sur Proxima b.
Figure 1 : Voici quelques-uns des climats possibles sur Proxima b, que sa rotation soit synchrone (avec une face constamment éclairée, et l’autre, toujours dans la nuit) ou non. Crédit : M. Turbet

Quoiqu’il en soit, nos résultats indiquent que pour une gamme très large de paramètres, la planète peut maintenir de l’eau liquide à sa surface ! En particulier, nous avons montré  que 1) si Proxima b est aujourd’hui en rotation synchrone et que 2) si elle s’est formée au-delà de la ligne des glaces, alors, quel que soit son atmosphère, il y aura toujours de l’eau liquide à sa surface, au moins au point substellaire. C’est ce que montre par exemple la Figure 2.

Et maintenant ?

Le plus fort dans tout ça est qu’à partir de nos simulations d’atmosphères, nous sommes capables de faire des prédictions d’observation qui vont ensuite nous permettre de discriminer les différents scénarios d’évolution de la planète. Et ainsi, d’ici 10 ans, de pouvoir répondre à une grande partie des questions suivantes : Proxima b est-elle une planète rocheuse ? Est-elle en rotation synchrone ? A-t-elle une atmosphère ? Si oui, de quoi est-elle composée ? Y’a-t-il de l’eau liquide à sa surface ? Et … de la vie ???

D’ici 10 ans, toute une variété de techniques vont être mises en œuvre pour caractériser Proxima b. Je vais donc me concentrer sur l’une d’entre elles – vraisemblablement la plus prometteuse : l’imagerie directe, technique qui permet de collecter directement la lumière émise par une planète ou la lumière de son étoile hôte qu’elle réfléchit.

Représentation d'un simulation numérique des températures de surface possibles sur Proxima b.
Figure 2 : Une simulation numérique des températures de surface possibles sur Proxima b réalisée avec le modèle numérique de climat 3-D du Laboratoire de Météorologie Dynamique. On a fait l’hypothèse ici que la planète possède une atmosphère semblable à la Terre et est recouverte par un océan global. La ligne pointillée indique la frontière entre la surface océanique liquide et gelée. La planète est en rotation synchrone (comme la Lune autour de la Terre) et représentée du point de vue d’un observateur distant pendant une orbite complète (11 jours). Credit : M. Turbet & J. Leconte.

Un certain nombre de caractérisations fascinantes et totalement nouvelles vont pouvoir être tentées :

  1. La composition moléculaire de l’atmosphère – La plupart des composés moléculaires de l’atmosphère – si elle existe – de Proxima b vont absorber une partie de la lumière émise par son étoile. En combinant l’imagerie directe avec de la spectroscopie haute-résolution, il sera possible de détecter la signature de molécules telles que O2, O3, H2O, CO2, CH4 …
  2. Les nuages – Dans le système solaire, une grande variété de nuages sont observés : des nuages d’eau sur Terre, des nuages de CO2 sur Mars, des nuages d’acide sulfurique sur Vénus, ou encore des brumes de méthane sur Titan. Les premières observations d’atmosphères de planètes extrasolaires suggèrent d’ailleurs que la formation de nuages est un phénomène extrêmement répandu. En fonction de la composition atmosphérique de Proxima b, il est possible qu’une grande variété de nuages puissent être formés. Une couverture nuageuse importante a tendance à aplatir le spectre de réflexion et masquer l’absorption produite par les molécules atmosphériques. Cependant, en analysant la nature de ses nuages (de quoi ils sont faits), on peut en apprendre beaucoup sur le type d’atmosphère et le climat de la planète.
  3. La composition de surface – Y-a-t-il de l’eau liquide à la surface de Proxima b ? C’est une des questions importantes auxquelles la nouvelle génération de grands télescopes, comme l’E-ELT (European Extremely Large Telescope) et son miroir de 39m, va tenter de répondre. Voici deux des multiples chemins possibles d’exploration :
    i) Les propriétés de réflexion varient d’une surface à l’autre, d’un matériau à l’autre. La plupart des matériaux à la surface de la Terre ou d’autres corps du Système Solaire sont des réflecteurs dits « lambertiens », car ils reflètent la lumière incidente dans toutes les directions. Mais avez-vous déjà vu votre reflet sur un lac ? En fait, comme les océans/lacs sont plus ou moins plats, ils peuvent réfléchir la lumière géométriquement, tout comme le font les miroirs. Si Proxima b possède des océans, on devrait être capable de les détecter, car ils devraient favoriser la réflexion de la lumière en provenance de son étoile à certains angles géométriques très particuliers, encore une fois, comme le ferait un miroir.
    ii) Si Proxima b est à la fois riche en eau et si elle est en rotation synchrone, nos modèles climatiques indiquent que quelque soit son atmosphère, de l’eau liquide devrait être stable au point substellaire (Figure 2). Nous avons montré dans notre article que de telles planètes, lorsqu’elles réfléchissent la lumière de leur étoile hôte, possèdent une signature très particulière. Et ce, cette fois-ci, grâce aux propriétés très singulières de la glace. Lorsque l’on regarde Proxima b en lumière visible, on devrait voir, alors que la planète tourne autour de son étoile (la Figure 2 est très parlante sur ce point), la lumière alternativement réfléchie par la glace puis les océans, ces derniers réfléchissant dix fois moins bien la lumière visible que la glace. Cependant, la glace réfléchit beaucoup plus efficacement la lumière dans le domaine du visible que celui de l’infrarouge. Si l’on regarde à nouveau Proxima b dans le domaine du proche infrarouge, où la glace est un bien meilleur absorbant, cet effet devrait alors disparaître. Ainsi, imager directement la lumière visible et proche-infrarouge réfléchie par Proxima b pourrait nous permettre de détecter de tels changements et donc de nous dire si Proxima b possède de l’eau liquide à sa surface.

Le mot de la fin :

La plupart de notre connaissance sur les atmosphères planétaires et l’habitabilité proviennent de l’étude de Vénus, Mars et la Terre. Aurait-on été capable d’imaginer Vénus, Mars ou encore même Titan s’ils n’étaient pas dans notre Système Solaire ? Alors qu’en est-t-il de Proxima b ? Quoiqu’il en soit, d’ici 10 ans, la caractérisation de Proxima b, l’exoplanète la plus proche de nous, va potentiellement révolutionner tout ce que nous avons appris sur ces domaines …

[1]
I. Ribas, E. Bolmont, F. Selsis, A. Reiners, J. Leconte, S. N. Raymond, S. G. Engle, E. F. Guinan, J. Morin, M. Turbet, F. Forget, et G. Anglada-Escudé, A&A 596, A111 (2016). [Source]
[2]
M. Turbet, J. Leconte, F. Selsis, E. Bolmont, F. Forget, I. Ribas, S. N. Raymond, et G. Anglada-Escudé, A&A 596, A112 (2016). [Source]

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