vue en plan large de l'équipe en plein travail sur leur iceberg
Met City pendant l’été 2020. Crédit photo : Lianna Nixon

Les particules atmosphériques et leur impact sur le changement climatique

Saviez-vous que lors d’une inspiration, vous respirez environ 1,5 millions de particules fines appelées aérosols atmosphériques ? Ces aérosols atmosphériques sont en suspension dans l’air qui nous entoure et peuvent être solides ou liquides, avec une taille variant d’une fraction de micromètre à plusieurs micromètres a. Certains aérosols atmosphériques sont d’origine naturelle, comme les poussières désertiques, les sels marins, le pollen et les suies provenant des volcans. D’autres aérosols sont d’origine anthropique b et sont par exemple émis par nos activités industrielles.

En plus d’avoir un impact sur la qualité de l’air que nous respirons, les aérosols atmosphériques peuvent modifier le climat. Tout d’abord, ils peuvent absorber et diffuser le rayonnement solaire, ce qui modifie ce que l’on appelle le bilan radiatif de la planète. En diffusant le rayonnement solaire dans toutes les directions, les aérosols renvoient une partie de ce rayonnement vers l’espace, ce qui entraîne un refroidissement du climat. En revanche, en absorbant le rayonnement solaire, les aérosols réchauffent l’atmosphère et le climat. Tous les aérosols diffusent et absorbent le rayonnement solaire, mais dans des proportions qui varient beaucoup et qui dépendent de leurs origines et de leurs propriétés optiques.

Pour rendre les choses encore plus compliquées, les aérosols peuvent aussi influencer le climat de manière indirecte, en agissant sur les nuages. En effet, les aérosols constituent les noyaux sans lesquels les gouttelettes d’eau nuageuse et les cristaux de glace ne pourraient se former. Les aérosols peuvent ainsi avoir un effet sur les propriétés physiques des nuages, comme leur nombre et la taille des gouttelettes d’eau, mais aussi sur la quantité de rayonnement que les nuages renvoient vers l’espace.

Quantifier les effets directs et indirects des aérosols atmosphériques sur le climat s’avère être un véritable challenge scientifique et de nombreuses incertitudes persistent. Les aérosols sont distribués de manière très hétérogène dans l’atmosphère, et ils peuvent refroidir le climat à certains endroits et le réchauffer à d’autres. Afin d’évaluer l’influence des aérosols atmosphériques selon l’environnement où ils se trouvent, des études scientifiques sont organisées à travers le monde. Malheureusement, il est impossible de couvrir tous les types d’environnements présents sur nos continents. Alors, quelles régions faut-il étudier en priorité ?

L’une des régions les plus touchées par le changement climatique est l’Arctique. Au cours des dernières décennies, l’Arctique s’est fortement réchauffé, accélérant la fonte de la banquise et des glaciers du Groenland. Conséquences ? Le niveau de la mer est en hausse et certains écosystèmes sont menacés. Malheureusement, ce qu’il se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arctique, et le réchauffement de cette région peut influencer le climat au niveau mondial. Malgré cela, nous manquons cruellement d’observations scientifiques recueillies en Arctique pour mieux comprendre et prévoir les impacts du changement climatique dans cette région et dans le reste du monde. Par exemple, l’origine des aérosols atmosphériques et leur devenir dans cet environnement polaire restent flous, et plus d’observations scientifiques sont nécessaires. Des expéditions scientifiques sont organisées chaque année dans l’Arctique, mais la plupart de ces expéditions ont lieu en été sur de courtes durées, limitant grandement les résultats scientifiques.

L’expédition MOSAiC

En 2019, une expédition scientifique se lance dans une aventure hors normes : passer plus d’un an dans l’Arctique pour étudier pour la première fois l’ensemble du système climatique de l’Arctique central. Mais comment organiser une expédition de telle envergure ? Pendant 10 ans, des scientifiques de plus de 20 pays ont travaillé ensemble pour réaliser ce projet. Leur objectif est de dériver sur une plaque de banquise près du Pôle Nord tout en réalisant des observations scientifiques couvrant le plus de domaines possible : l’atmosphère, l’océan, la banquise, les écosystèmes, etc.

Pour naviguer dans l’océan Arctique, les scientifiques doivent vivre à bord du navire brise-glace allemand Polarstern qui a été conçu spécialement pour ce genre d’aventures : il est équipé d’une coque renforcée lui permettant de briser la glace, et possède également plusieurs laboratoires adaptés aux études multidisciplinaires.

Avant l’expédition, les scientifiques doivent se préparer en participant à des stages de survie, des formations aux premiers secours et des stages de tir pour savoir se défendre en cas d’attaque d’ours polaires. Tous les participants reçoivent également du matériel et des vêtements techniques conçus pour assurer une protection thermique optimale, et ce même en plein hiver lorsque les températures descendent à -40°C.

En Septembre 2019, c’est le grand départ et le Polarstern quitte la Norvège en direction du Nord. Après quelques semaines de navigation, le navire est ancré dans une plaque de banquise et la dérive commence. En quelques jours, les scientifiques construisent une véritable station de recherche centrée autour du Polarstern et qui s’étend sur plusieurs kilomètres sur la banquise. Des routes sont taillées dans la glace, un immense réseau de câbles électriques est établi, et des tentes, des cabanes et des mâts sont érigés. Bientôt, ce village scientifique fourmille d’activités. À Ocean City, les océanographes creusent un trou dans la glace pour prélever des échantillons d’eau de mer. À Rov City, les scientifiques utilisent un véhicule sous-marin téléguidé pour sonder les profondeurs à la recherche de micro-organismes vivants sous la glace. À Ice City, les glaciologues extraient des carottes de glace pour étudier leur structure et composition. À Met City, les scientifiques utilisent des ballons captifs pour mesurer les conditions atmosphériques ainsi que la composition de l’atmosphère et les aérosols. Enfin, sur le Polarstern, les échantillons sont analysés dans les laboratoires, les données scientifiques sont stockées et, sur le pont, des vigies surveillent la banquise au cas où un ours polaire s’approcherait du village scientifique.

La mission scientifique

En tant que membres de l’équipe atmosphère, nous avons eu l’opportunité de passer plusieurs mois à bord du Polarstern entre juin et octobre 2020. Notre mission : entretenir les instruments scientifiques afin d’effectuer des mesures atmosphériques en continu tout au long de l’expédition. Au total, plus de 50 instruments doivent être vérifiés chaque jour pour s’assurer qu’ils fonctionnent correctement. Chaque instrument a sa propre fonction : certains comptent le nombre d’aérosols atmosphérique se trouvant dans l’air, d’autres analysent la composition chimique des aérosols ou leur capacité à devenir des gouttelettes d’eau nuageuse.

Chaque instrument a également son propre caractère : certains peuvent fonctionner sans interruption pendant plusieurs mois, alors que d’autres nécessitent énormément d’attention au quotidien. La situation peut vite devenir compliquée lorsque l’un des instruments tombe en panne : au milieu de l’océan Arctique, il n’y a pas de réseau mobile pour appeler un collègue ou faire une recherche sur Google. Il n’y a pas non plus de magasin pour acheter une pièce de rechange. Isolés du reste du monde, il faut trouver des solutions avec les ressources présentent sur le Polarstern, être ingénieux et surtout, s’entraider et se soutenir mutuellement.

Nous avons pu tester nos capacités techniques lorsque l’ACSM, un spectromètre de 100 kg qui permet d’analyser la composition chimique des aérosols atmosphériques à bord du Polarstern, est soudainement tombé en panne.  Au départ, nous essayons de redémarrer l’instrument, mais cela ne change rien. Nous n’avons pas le choix, il va falloir ouvrir l’instrument et inspecter ses composants, comme un chirurgien opèrerait un patient pour inspecter ses organes. Après avoir retiré les panneaux qui protègent l’instrument, nous découvrons l’intérieur complexe de l’ACSM : des cartes électroniques se superposent au milieu d’un foisonnement de câbles et de composants électriques.  Muni d’un multimètre, l’un teste chaque connexion électrique pendant que l’autre l’éclaire avec une lampe torche et le guide en suivant le schéma du circuit électrique. Après plusieurs heures passées accroupis près de l’instrument, nous trouvons enfin la source du problème : un court-circuit a endommagé l’unité d’alimentation. Nous avons maintenant deux problèmes : premièrement, il faut que nous trouvions une nouvelle unité d’alimentation avec les mêmes spécifications techniques pour remplacer celle qui est endommagée. Deuxièmement, nous devons comprendre ce qui a causé le court-circuit pour éviter que le problème ne se reproduise. Après avoir discuté avec l’électricien du Polarstern et fouillé des tiroirs remplis d’équipement, nous trouvons enfin une unité d’alimentation adaptée à l’ACSM. Nous improvisons une prise pour la connecter à l’instrument et nous continuons de scruter les circuits électriques à la recherche d’une anomalie qui pourrait expliquer le court-circuit. Matt finit par trouver une résistance qui est complètement déconnectée du circuit, et comprend que c’est ce qui a endommagé l’alimentation. Avec un fer à souder, beaucoup de patience et de délicatesse, nous parvenons à souder la résistance à sa place et redémarrons l’instrument avec succès. Au total, nous avons passé trois demi-journées sur cette réparation, ce qui représente relativement peu de temps et nous a permis de ne pas perdre trop de données scientifiques.

Lorsque nous ne sommes pas en train de réparer un instrument, nous-mêmes, ainsi que tous les scientifiques qui sont sur le Polarstern, suivons un emploi du temps strict et répétitif. Tous les soirs à 19h, les scientifiques se réunissent avec les membres de l’équipe logistique pour planifier la journée du lendemain, décider quels groupes iront travailler sur la banquise et quels lieux seront visités. Le lendemain, à 6h30, nous nous relayons avec nos collègues de l’équipe atmosphère pour lancer un ballon-sonde depuis le Polarstern pour mesurer les conditions météorologiques jusqu’à 35 km d’altitude. Après le petit-déjeuner, les scientifiques se retrouvent à nouveau à 8h pour une courte réunion pendant laquelle ils révisent le planning du jour au cas où il y aurait eu un changement de programme. À 9h, la passerelle entre le Polarstern et la banquise est abaissée, et les scientifiques peuvent descendre sur la glace. Après un test radio avec le pont, les équipes se dispersent sur la banquise et chacun s’affaire à son travail.  La plupart des équipes reviennent sur le Polarstern vers midi pour le déjeuner, mais certaines ne rentrent qu’à 17h, après quoi la passerelle est à nouveau relevée. Et puis à 19h, après le dîner, le cycle recommence et tout le monde se retrouve à la réunion de préparation pour le lendemain. Chaque jour de l’expédition suit cette structure et, même si ce quotidien semble répétitif, nous apprécions cet emploi du temps autour duquel nous pouvons nous organiser.

En plus des instruments qui sont à bord du Polarstern, nous avons également avec nos collègues de l’équipe atmosphère beaucoup d’équipement installé sur la banquise où nous faisons des rondes journalières. Travailler sur la banquise n’est pas toujours facile car il s’agit d’un environnement très instable qui change sans arrêt. En été, la glace fond et forme des petits lacs et des rivières à la surface de la banquise. Parfois, des plaques de banquise s’entrechoquent et forment des crêtes de glace de plusieurs mètres. À cause de cela, presque chaque semaine il faut trouver un nouveau chemin pour se rendre à Met City. Travailler sur la banquise exige également beaucoup de prudence à cause des ours polaires qui, durant l’été, viennent régulièrement visiter le village scientifique. Les ours sont très curieux et aiment beaucoup explorer le village scientifique et jouer avec les équipements installés sur la banquise. Heureusement, les ours sont généralement repérés de loin grâce aux vigies qui surveillent la banquise depuis le pont du Polarstern, ce qui laisse le temps aux scientifiques de remonter sur le bateau. Les vigies utilisent ensuite des pistolets lance-fusées et la corne de brume du Polarstern pour effrayer les ours polaires, car il est primordial que les ours ne restent pas trop longtemps autour des installations et ne s’habituent pas à la présence humaine.

Les résultats scientifiques

Tous ces efforts techniques et logistiques ne sont pas vains, et les données scientifiques collectées pendant l’expédition permettent de formuler de nouvelles conclusions concernant l’origine des aérosols atmosphériques dans cette région unique.

Car il faut savoir qu’il n’y a pas d’environnement comparable à celui de l’Arctique central sur notre planète. En plus d’avoir une banquise qui s’étend sur des millions de kilomètres carrés, l’Arctique subit des variations saisonnières hors normes à cause des changements dans l’ensoleillement présent. En hiver, l’Arctique est plongé dans l’obscurité totale alors qu’en été, le soleil est constamment dans le ciel. Ce cycle saisonnier a un impact important sur l’environnement et sur l’atmosphère et, par conséquent, sur les aérosols atmosphériques.

Jusqu’à présent, il y a eu très peu d’observations scientifiques de ce cycle saisonnier sur les aérosols atmosphériques dans l’océan Arctique central. Mais avec l’expédition MOSAiC, il est possible, pour la première fois, d’examiner ce cycle en continu pendant une année complète dans cette région. Les résultats nous montrent des différences stupéfiantes entre les aérosols observés en hiver et ceux observés en été.

En hiver, l’atmosphère au-dessus de l’Arctique est froide et sèche. Ces conditions météorologiques sont favorables au smog arctique, ce brouillard résultant du transport de l’air pollué des continents du nord (Europe, Asie et Amérique du Nord) vers l’Arctique central. Cette pollution provient principalement de sources industrielles, notamment de la combustion de carburants fossiles utilisés dans les centrales, les usines et les voitures. Depuis le Polarstern, cette pollution est visible dans la forte augmentation du nombre de particules de carbone noir, cet aérosol atmosphérique, sous-produit de combustion, qui est capable d’absorber le rayonnement solaire et donc de réchauffer l’atmosphère. Mais ce n’est pas tout, car les scientifiques mesurent également une augmentation dans les concentrations de polluant gazeux, tel que l’acide sulfurique ou le dioxyde de soufre. Ainsi en hiver, au milieu de l’Arctique central où la ville la plus proche se trouve à plusieurs milliers de kilomètres, la pollution anthropique est détectée et influence directement la composition de l’atmosphère.

Les aérosols atmosphériques et leur impact sur le climat.

En été, les conditions plus ensoleillées et chaudes entraînent un changement dans les conditions météorologiques, ce qui limite le transport de pollution provenant des latitudes plus basses. Avec ce changement, les sources d’aérosols atmosphériques locales deviennent plus importantes. Des scientifiques ont étudié ces sources locales pendant plusieurs années et en sont venus à l’hypothèse suivante : la source principale d’aérosols est liée à des procédés biologiques qui ont lieu dans l’océan. En effet, certains micro-organismes vivant dans l’océan, tels que le phytoplancton, deviennent plus actifs en été et libèrent des composés organiques sous forme gazeuse. L’un des gaz libérés par ces micro-organismes est le sulfure de diméthyle qui, lorsqu’il est transporté dans l’atmosphère, subit des réactions chimiques et produit un autre composé organique : l’acide méthylsulfonique. Cet acide a un pouvoir surprenant : il peut interagir avec d’autres gaz atmosphériques qui peuvent se condenser pour former de nouveaux aérosols. Pendant l’expédition MOSAiC, les scientifiques à bord du Polarstern ont réussi à fournir des nouvelles données scientifiques appuyant cette hypothèse, en mesurant une augmentation de la concentration en acide méthylsulfonique suivi d’une augmentation du nombre d’aérosols pendant l’été.

Ainsi, les observations scientifiques réalisées durant l’expédition MOSAiC nous permettent d’en savoir plus sur le cycle saisonnier des aérosols atmosphériques dans l’Arctique central. Mais ces travaux ne constituent qu’une première étape en vue de mieux comprendre le système atmosphérique et climatique de l’Arctique. Pendant les 13 mois de l’expédition, des téraoctets de données scientifiques ont été collectées, ce qui, pour les scientifiques, représente des années de travail d’analyse et de rédaction pour pouvoir partager leurs résultats avec la communauté scientifique et le reste du monde.

Notes   [ + ]

a. Un cheveu mesure environ 60 micromètres.
b. Relatif aux activités humaines.
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Zoé a obtenu un diplôme d'ingénieur en Génie des Procédés et Environnement à l'Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Toulouse avant de suivre le parcours Système Climatique à l'Université de Grenoble Alpes où elle s'est lancée dans l'étude de l'atmosphère et du climat. Elle est actuellement en Finlande où elle réalise une thèse sur les particules atmosphériques et leurs interactions avec les nuages.
Matt Boyer réalise actuellement une thèse à l'université d'Helsinki en Finlande. Il étudie les particules atmosphériques dans les régions polaires. Originaire des États-Unis, il a obtenu son Master de Physiques et de Sciences de l'Atmosphère à l'université Dalhousie au Canada et il a travaillé au Laboratoire de Brookhaven aux États-Unis.

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